
Créatine, le premier essai clinique chez les patients Alzheimer
Un tournant dans la recherche sur le cerveau
La créatine a longtemps été cantonnée au rayon des compléments pour sportifs. Associée à la performance physique, à la prise de muscle et aux bancs de musculation, elle évoque, dans l’imaginaire collectif, la salle de sport bien plus que le laboratoire de recherche. Pourtant, une récente publication dans la revue Alzheimer’s & Dementia: Translational Research & Clinical Interventions pourrait bien transformer cette image, et ouvrir de nouvelles perspectives dans un domaine où l’innovation est plus que jamais nécessaire : la lutte contre la maladie d’Alzheimer.
Ce que cet essai pilote révèle est simple, mais potentiellement révolutionnaire : en huit semaines, 20 g de créatine monohydrate par jour ont permis d’augmenter les taux de créatine cérébrale de 11 % et d'améliorer les performances cognitives chez des patients atteints de la maladie d’Alzheimer. Ces résultats, même préliminaires, laissent entrevoir un nouveau rôle pour cette molécule bien connue, mais encore sous-explorée en neurologie.
Le contexte : comprendre Alzheimer et le métabolisme énergétique du cerveau
La maladie d’Alzheimer, aujourd’hui incurable, touche plus de 50 millions de personnes dans le monde. Elle se manifeste par un déclin progressif de la mémoire, de la pensée, de la parole, puis de l’autonomie. Sur le plan biologique, elle est caractérisée par l’accumulation de plaques amyloïdes, de dégénérescences neurofibrillaires et par une atrophie progressive du cortex cérébral.
Mais ces marqueurs structuraux ne sont que la partie visible de l’iceberg. En profondeur, le cerveau d’un patient Alzheimer connaît un déficit massif de production énergétique. Les mitochondries fonctionnent mal, les neurones peinent à générer l’ATP nécessaire à leurs activités, et l’ensemble du système nerveux ralentit. Cette “crise énergétique” du cerveau, aujourd’hui bien documentée, est au cœur des troubles cognitifs.
C’est là que la créatine entre en jeu.
La créatine : une molécule clef de la bioénergétique
La créatine est un composé naturellement présent dans le corps, principalement stocké dans les muscles, mais aussi dans le cerveau. Elle sert de réserve tampon pour la production d’ATP, la molécule d’énergie universelle de nos cellules. Lorsqu’une cellule a besoin d’un surcroît d’énergie rapide – par exemple, pendant un sprint musculaire, ou un effort cognitif intense –, la créatine phosphate libère un phosphate pour régénérer immédiatement de l’ATP.
Ce mécanisme est bien connu dans les cellules musculaires, mais il s’applique aussi aux neurones, en particulier dans les zones à haute densité synaptique, comme le cortex préfrontal ou l’hippocampe. Chez l’adulte en bonne santé, le cerveau contient environ 5 % des réserves totales de créatine du corps. Cette concentration est étroitement corrélée à certaines fonctions cognitives comme la mémoire de travail, la concentration, la capacité à résoudre des problèmes ou à apprendre.
Ce que montre l’étude : un effet rapide et mesurable
L’étude en question, menée par une équipe de chercheurs dirigée par Aaron N. Smith et Matthew K. Taylor, a été publiée en 2024. Elle porte sur un petit groupe de patients atteints d’Alzheimer, qui ont tous suivi pendant huit semaines une supplémentation de 20 g de créatine monohydrate par jour.
Les résultats sont encourageants à plusieurs niveaux :
- +11 % de créatine dans le cerveau, mesurée par spectroscopie par résonance magnétique (MRS), une technique non invasive.
- Amélioration des fonctions cognitives, notamment dans les domaines de la mémoire, de l’attention et de la lecture.
- Aucune toxicité rapportée à cette dose pourtant élevée, confirmant la bonne tolérance du supplément.
Bien sûr, les auteurs précisent que c’était une étude sans groupe placebo, de type pilote, donc les résultats doivent être pris avec précaution. Il ne s’agit ni d’une preuve définitive, ni d’une solution miracle. Mais c’est la première démonstration clinique que la créatine pourrait potentiellement soutenir la fonction cérébrale dans le contexte d’une maladie neurodégénérative.
Un corpus croissant de recherches sur la créatine et les fonctions cognitives
Cette étude ne sort pas de nulle part. Depuis plus d’une décennie, les neurosciences nutritionnelles s’intéressent aux effets de la créatine sur le cerveau. Plusieurs essais, notamment chez les végétariens (qui ont naturellement moins de créatine car elle est principalement issue de produits animaux), ont montré des améliorations significatives de la mémoire de travail et du raisonnement logique après supplémentation.
D’autres recherches ont mis en lumière les bénéfices de la créatine en cas de manque de sommeil, de stress intense, ou encore de traumatisme cérébral léger. Chez les personnes âgées, elle pourrait participer à la prévention de la sarcopénie et du déclin cognitif simultanément – un double enjeu majeur du vieillissement.
Une étude particulièrement remarquable, publiée dans Psychopharmacology en 2003, avait déjà montré qu'une supplémentation de 5 g/j pendant 6 semaines améliorait significativement la mémoire à court terme et la rapidité de traitement de l'information chez des jeunes adultes en bonne santé.
Pourquoi ça marche : une question de carburant neuronal
Le lien entre créatine et cognition est donc de plus en plus clair : lorsque le cerveau est fatigué, privé de glucose, ou atteint par la maladie, il a du mal à produire assez d’ATP. Et sans énergie, même les meilleures structures neuronales deviennent inefficaces. En restaurant une réserve d’urgence, la créatine permet de maintenir l’activité cérébrale dans des conditions difficiles.
C’est un peu comme si vous donniez un chargeur portable à un téléphone dont la batterie interne ne tient plus la charge. Cela ne répare pas le téléphone, mais cela prolonge son fonctionnement.
Vers une nouvelle ère du “nootropic naturel” ?
Alors que l’intérêt pour les nootropiques – ces substances censées améliorer les capacités mentales – explose, la créatine se distingue par plusieurs avantages majeurs :
- Elle est naturelle, produite par le corps lui-même.
- Elle est extrêmement bien étudiée, avec des centaines d’études validant son innocuité.
- Elle est peu coûteuse, disponible partout et facile à intégrer.
- Elle est polyvalente : utile pour les muscles, le cerveau, la performance, la récupération.
Contrairement à d’autres substances plus controversées (modafinil, racétams, etc.), la créatine ne manipule pas les neurotransmetteurs, elle soutient l’énergie cellulaire – ce qui est un besoin fondamental, universel, non dopaminergique ni addictif.
Comment intégrer la créatine dans sa routine quotidienne : conseils pratiques
1. Quelle dose prendre ?
- Pour un effet cognitif de fond : 3 à 5 g par jour sont suffisants pour saturer les réserves cérébrales sur plusieurs semaines. C’est la dose la plus étudiée dans la littérature.
- Pour un effet rapide ou thérapeutique (comme dans l’étude Alzheimer) : 20 g par jour, répartis en 4 doses de 5 g, pendant 5 à 7 jours (phase de charge), puis maintien à 5 g/j.
Attention : cette phase de charge n’est pas toujours nécessaire, sauf si vous cherchez un effet accéléré (par exemple après un épisode de fatigue intense ou pour récupération post-traumatique).
2. Quand la prendre ?
- La créatine n’est pas stimulante, elle peut donc être prise à n’importe quel moment de la journée.
- Certains préfèrent la prendre autour de l’entraînement, car l’activité physique améliore son absorption, mais cela n’a pas d’impact majeur sur les fonctions cognitives.
- Pour le cerveau, ce qui compte c’est la régularité plus que le timing précis.
3. Avec ou sans nourriture ?
- Elle peut être prise à jeun ou pendant un repas. Toutefois, la présence d’insuline (par exemple après un repas glucidique ou une collation sucrée) augmente légèrement son absorption.
- Une astuce : l’associer à un peu de jus de fruit ou de miel.
4. Quelle forme de créatine choisir ?
- Créatine monohydrate : la forme la plus étudiée, la plus stable, et la plus efficace. Recherchez une poudre micronisée pour une meilleure solubilité.
- Créatine HCl, Kre-Alkalyn, ethyl ester… : ces formes sont souvent plus chères, sans preuve d’un avantage réel.
- Préférez les marques certifiées Creapure® pour une pureté garantie et sans métaux lourds.
5. Avec quoi l’associer ?
- Magnésium : pour soutenir la synthèse d’ATP.
- Acides gras oméga-3 : pour la fluidité membranaire neuronale.
- Curcumine ou antioxydants : pour réduire l’inflammation cérébrale associée au vieillissement.
6. Effets secondaires ?
- Très rares. Parfois, un petit inconfort digestif si la dose est trop élevée d’un coup (dans ce cas, fractionner).
- Boire suffisamment d’eau est recommandé (environ 2 L/jour), surtout si vous prenez plus de 5 g/jour.
Conclusion : une molécule à redécouvrir
La créatine, autrefois reléguée aux couloirs des salles de sport, s’impose peu à peu comme un acteur majeur de la neuroprotection et de la longévité cognitive. Son profil de sécurité exceptionnel, son prix accessible et ses effets multiples sur les performances physiques et mentales en font un outil précieux, que l’on soit athlète, étudiant, parent fatigué, professionnel surmené ou senior soucieux de préserver sa mémoire.
L’étude sur Alzheimer ne marque peut-être que le début d’une série de découvertes. Mais elle nous rappelle une chose essentielle : le cerveau est un organe qui a besoin d’énergie. Et la créatine est l’un de ses carburants fondamentaux.
Référence principale :
Smith AN, Choi IY, Lee P, et al. Creatine monohydrate pilot in Alzheimer's: Feasibility, brain creatine, and cognition. Alzheimer's Dement (TRCI). 2024;11(2):e70101. https://doi.org/10.1002/trc2.70101